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Face aux caprices des Oncles en pays kabyè surtout lors des enterrements et des funérailles, Père Aristide Toyi Kagnouda, Prêtre et philosophe kabyè, a décidé de réveiller les consciences et de recadrer certaines conceptions à travers une lettre ouverte.

LETTRE A MES FRERES ET SŒURS KABYE N°1 : L’IMPORTANCE DE L’ONCLE EN PAYS KABYE

Avant-propos

Lettre à mes frères et sœurs Kabyè se veut une série de réflexions sur des sujets propres à la culture et à la tradition Kabyè. Sans aucune prétention, ces lettres cherchent à susciter des réflexions autour de certaines thématiques, de certaines pratiques héritées de nos ancêtres. Le but est la promotion de notre culture, au vrai sens du terme. Pour ce faire, il faut la connaître, y réfléchir et, au besoin l’adapter.

En effet, il n’y a pas de culture en l’air. Chaque culture ou coutume est fruit de son temps et de milieu. Ce sont toujours les réalités socio-culturelles des peuples qui définissent leur comportement, leur compréhension des choses et leur rapport avec le réel. Et, de cette compréhension des choses et du rapport avec le réel, découlent les principes et les normes de vie qui sont par la suite transmis aux générations suivantes et que nous appelons tradition ou coutume ou culture.

Or les réalités socioculturelles n’étant pas des vérités éternelles, elles sont soumises au changement. C’est pourquoi une tradition qui n’évolue pas est vouée à disparaître car, à un moment donné, elle ne sera plus adaptée aux nouvelles donnes. D’où la nécessité, si nous voulons pérenniser nos coutumes, d’y réfléchir et ne pas se contenter juste de les répéter telles qu’elles.

L’oncle en pas kabyè, qu’est-ce que c’est ?

            L’oncle en pays kabyè désigne le petit frère de la maman. En effet, la notion d’oncle paternelle n’existe pas en Kabyè. Car tout ce qui est du côté paternel c’est frère ou sœur (ça peut grand ou petit) selon l’âges des concernés). Dans certains milieux l’oncle paternel est appelé petit-papa. Donc l’oncle c’est exclusivement du côté maternel.

Pourquoi une telle importance ?

L’importance accordée à l’oncle et par ricochet à la famille maternelle vient du fait que :

*Premièrement, il y a plus de certitude que du côté paternel. On peut douter de la paternité d’un enfant, mais presque jamais de sa maternité. On connait bien l’adage : tant que ta maman n’est pas morte, tu n’es pas sûr que ton père est ton père ou encore c’est la femme seule qui connait le vrai père de l’enfant. Signalons en passant que c’est la même raison qui justifie la succession matrilinéaire dans l’empire du Ghana, pour être sûr de préserver la lignée familiale au trône.

Deuxièmement, quand les soi-disant droits des enfants et juges des enfants n’existaient pas encore dans nos villages, en cas de divorce la femme part avec les enfants, surtout quand ils sont encore petits. Elle regagne sa maison paternelle et ce sont ses frères et sœurs qui l’aident à s’occuper des enfants dans une société où la femme n’avait encore d’autonomie financière. D’où l’importance de l’oncle dans la vie du sujet.

Et quand le neveu avait quelque difficulté que ce soit, il était protégé par son oncle : s’il tombe malade c’est l’oncle qui cherche le guérisseur ; s’il faut chercher la cause de sa maladie, c’est l’oncle qui prend le devant ; même si le père géniteur venait à renier ou rejeter son enfant, celui-ci était recueilli par les oncles parce qu’ils ne peuvent pas rejeter le sang de leur sœur : on peut te renvoyer chez toi, on ne peut pas te renvoyer chez tes oncles, dit fièrement l’adage.

L’oncle c’était un véritable Goel, pour ceux qui ont un peu de culture biblique et sémite. D’où l’importance de l’oncle dans la vie de son neveu. Comme on le voit, contrairement à ce qu’on pense et nous fait croire, la société kabyè n’est pas si patriarcale que ça. L’importance est plus accordée à la descendance de la sœur. Sur la vie de l’individu, la ligné maternelle a plus d’incidence que le côté paternel.

Quelles en sont les conséquences ?

En échange avant de faire quelque cérémonie que ce soit, il faut aviser l’oncle. Si le neveu tue un gibier à la chasse, si c’est un petit gibier, faut l’amener entièrement à l’oncle, surtout si c’est ton premier gibier ; si c’est un grand gibier, il faut que l’oncle soit là avant que le gibier ne soit dépecé et il y avait des parties réservées à l’oncle. S’il ne vient pas, même si le gibier doit pourrir, personne n’a le droit d’y toucher.

A la mort, si l’oncle ne vient pas on n’a pas le droit d’enterrer le cadavre. En cas de chapelle ardente il doit même être le premier à voir le corps avant toute autre personne.

Cette exigence s’explique : puisque c’est lui qui a fait toutes les courses pour sa guérison, on ne peut l’enterrer à son absence. En second lieu, il doit le voir en premier pour s’assurer que c’est réellement l’enfant de sa sœur, avant qu’il ne soit exposé aux autres et d’être enterré. En troisième lieu, si le mari avait maltraité sa sœur, ou s’il avait été impoli à l’égard de la belle famille, c’est l’occasion de le punir un peu, mais aussi et surtout, de profiter pendant que les deux familles sont réunies, pour régler les différends.

Si j’évoque tout cela avec mes frères et sœurs, c’est à cause de certaines aberrations qui se constatent, s’entretiennent et se pérennisent au nom du respect de nos traditions. On se réclame de la tradition, d’une tradition qu’on ne connait même pas et qu’on ne respecte pas, sauf quand ça nous arrange.

 Aujourd’hui l’oncle ne fait presque rien, pour ne pas dire absolument rien pour le neveu. A-t-il encore cette importance incontournable qu’on lui accordait en raison de son rôle ? On me dira, même si c’est un fainéant, c’est l’oncle. Je veux bien l’accepter. Mais ce qu’on oublie c’est que, il fut un temps, le déplacement des populations n’était pas si prononcé : on vivait dans le même village ou dans des villages ou cantons voisins. Donc à l’enterrement nous sommes entre nous et on ne va nulle part, on peut prendre le temps qu’on veut pour faire ce qu’on veut.

Aujourd’hui la réalité est autre. Les gens viennent souvent de loin et parfois accompagnés des collègues de service parmi lesquels, quelques fois des personnalités ou, dans tous les cas, des fonctionnaires qui ont juste demandé la permission pour venir et qui doivent reprendre la route aussitôt après. Faut-il punir tout ce monde-là qui est venu nous soutenir, au nom d’un hypothétique oncle qui retarde exprès et s’en fout de tout le monde ? La fautes de ces gens c’est d’être venus nous soutenir et nous accompagner au nom de leur lien avec le défunt ou avec un familier du défunt. Ont-ils tort d’être venus ?

Il y a pire encore. Parfois l’oncle ne connais même pas son neveu qui vivait peut-être à Lomé, à Kpalimé ou ailleurs. Pour quelle raison doit-il nécessairement voir le cadavre en premier, même s’il tarde, avant qu’on n’autorise la visite des autres ?

Ensuite, avec nos ancêtres, il n’y avait pas de morgue. Quand quelqu’un mourrait, on l’enterrait le même jour ou le lendemain. Donc c’est normal que ce soit là, sur le champ qu’on se retrouve pour régler les différends avant l’enterrement. Mais aujourd’hui les morts sont gardés à la morgue, des jours, des semaines voire des mois avant l’enterrement. S’il y a un problème, pourquoi ne pas le régler pendant ce temps ? Pourquoi attendre le jour de l’enterrement, quand les gens sont venus de loin parmi lesquels des étrangers avant de laver notre linge sale en plus de retarder l’enterrement ?

Autre chose : comme on enterrait le même jour, parfois l’oncle était déjà au champ et il fut allé le chercher. Ce qui peut expliquer son retard. Aujourd’hui il est informé des semaines avant, et le matin de l’enterrement on va encore le lui rappeler. Malgré ça, les oncles s’arrangent toujours à arriver en retard au mépris de tout ce monde qui a venu à l’enterrement et qui, parfois, ont fait pour le défunt plus que lui, l’oncle, n’en a fait.

N’est-il pas temps de recadrer les choses ? Ne faut-il pas redéfinir le rôle et la place de l’oncle dans nos enterrements et funérailles ? 

Père Aristide Toyi Kagnouda, Prêtre et philosophe kabyè

(In CHRONIQUE DE LA SEMAINE n°727 du 28 novembre 2024)

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