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Au terme d’un procès expéditif tenu le 9 août 2025 à N’Djamena, Succès Masra, figure de proue du parti Les Transformateurs et ancien Premier ministre, a été condamné à vingt ans de réclusion. Il est reconnu coupable de « diffusion de messages racistes et xénophobes incitant à la violence », en lien avec les violences intercommunautaires meurtrières qui ont secoué la région de Mandakao, dans le sud-ouest du pays, en mai dernier. Le jugement l’oblige également à verser 1 milliard de francs CFA à l’État tchadien, au titre des réparations. Ses avocats ont aussitôt dénoncé une « mascarade judiciaire » et annoncé leur intention de faire appel.

Un procès rapide dans un climat politique tendu

Historiquement lente, la justice tchadienne a cette fois accéléré la procédure, traduisant l’importance capitale que le régime attache à ce dossier.

Officiellement justifiée comme une mesure pour préserver la paix civile, cette procédure survient surtout dans un contexte politique lourd, marqué par une répression croissante des voix dissidentes depuis l’arrivée au pouvoir de Mahamat Idriss Déby, successeur de son père décédé en 2021.

Âgé de 41 ans, Succès Masra dirige Les Transformateurs, parti à forte implantation populaire, notamment dans le sud du pays, où la population majoritairement chrétienne et animiste se sent marginalisée par un régime à dominante musulmane. Économiste formé en France et au Cameroun, Masra avait été nommé Premier ministre en janvier 2024 dans le cadre d’une transition politique orchestrée par Mahamat Déby.

Mais il s’est rapidement distancié du pouvoir, dénonçant avec force la présidentielle de mai 2024 comme « frauduleuse ». Il est devenu l’une des voix d’opposition les plus visibles, organisant des manifestations souvent violemment réprimées dans la capitale.

Lors du procès, la justice s’est appuyée notamment sur un message audio en langue ngambaye, dans lequel Masra aurait exhorté ses partisans à s’armer pour se défendre. Ce document a servi de fondement à l’accusation d’« incitation à la haine et à la révolte », complétée par des chefs d’accusation lourds : complicité d’assassinats et incendies volontaires. À la barre, Masra a rejeté en bloc ces accusations, réaffirmant sa foi en la justice.

Accusé d’avoir attisé les tensions interethniques, un procès contesté

L’ancien Premier ministre est accusé d’avoir exacerbé les affrontements entre éleveurs et agriculteurs dans le Sud-Ouest, qui ont fait une trentaine de morts et déstabilisé la région du Logone-Occidental. Le gouvernement présente ce procès comme une réponse indispensable à ces violences. Mais l’opposition et plusieurs observateurs dénoncent une procédure bâclée, destinée à faire taire une figure gênante du pouvoir.

À l’annonce du verdict, Masra est resté calme, lançant un message de résistance à ses partisans : « Ne vous inquiétez pas. On se retrouve bientôt. »

Une justice aux ordres, selon la défense

Les avocats de Masra crient au procès politique, fruit d’un dossier « vide » et d’une justice « instrumentalisée » pour éliminer toute opposition. Me Kadjilembaye Francis parle d’une humiliation indigne et d’un jugement sans fondement. Le collectif des 74 coaccusés, également condamnés, dénonce un déni de justice manifeste. Cette mécanique de répression judiciaire est devenue monnaie courante dans plusieurs pays africains, où les régimes autoritaires utilisent les tribunaux pour museler la dissidence.

La défense a d’ores et déjà annoncé un appel, avec la possibilité de saisir la Cour de cassation et même des instances internationales. La piste d’une grâce présidentielle, à l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance du Tchad, le 11 août, paraît cependant peu probable.

Vers une opposition réduite au silence ?

La condamnation de Masra marque une étape majeure dans le verrouillage du pouvoir par Mahamat Déby. Plusieurs leaders de l’opposition ont déjà été éliminés ces dernières années, certains assassinés, d’autres contraints à l’exil. Ceux qui restent subissent intimidation et traque.

Si la condamnation est confirmée en appel, Masra perdra tous ses droits civiques et politiques, interdit de diriger son parti ou de se présenter à toute élection. Anticipant cette issue, il s’est mis en congé de la direction de Les Transformateurs, laissant la gestion à un collège de ses proches.

Un régime contesté face à une crise multidimensionnelle

Depuis son accession, Mahamat Idriss Déby a resserré l’étau, usant de dissolutions de partis, d’arrestations ciblées et de répressions brutales. Ce procès illustre une dérive autoritaire où toute contestation est étouffée.

L’analyste Ifeanyi Okonkwo prévient : « Dans un contexte de fragilité démocratique, la répression peut embraser le pays. Le Tchad doit choisir entre paix sociale et chaos autoritaire. » Un choix crucial pour la stabilité d’un pays charnière du Sahel et d’Afrique centrale, au cœur des enjeux régionaux de sécurité et migration.

Sur la scène internationale, la condamnation de Succès Masra a suscité de vives inquiétudes. Les grandes ONG de défense des droits humains réclament sa libération immédiate, dénonçant une justice politisée, instrument au service du régime pour faire taire l’opposition.

Malgré la répression, la détermination des partisans de Masra demeure intacte, signe qu’au Tchad la contestation politique est loin d’être étouffée.

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